(1828-1910)
Léon Tolstoï
est à la fois ce chrétien en «quête de la vérité»,
révolté par la pauvreté, la peine de mort, l'indifférence
à autrui, l'esclavage, le militarisme, l'hypocrisie du clergé,
et cet intellectuel curieux des autres cultures. Il est reconnu comme
l'un des plus grands écrivains russes avec deux best-sellers mondiaux
: Guerre et Paix et Anna Karénine.
Mais son évolution hors du commun fait de lui un homme attachant,
d'une richesse intérieure impressionnante, et il est un des précurseurs
de la non-violence.
Né en 1828 dans la haute bourgeoisie russe, Léon Tolstoï
entre dans l'armée à 23 ans, a très peur de mourir
pendant la guerre de Crimée et fait le coup de feu contre les rebelles
tchéchènes (déjà). Il commence à écrire
avec réalisme et quitte l'armée cinq ans plus tard.
Il écrira : "Être en péril m'ouvrait les yeux".
"La guerre est une affaire si injuste et si laide que ceux qui
la font s'efforcent d'étouffer la voix de leur conscience".
A 30 ans, il veut
travailler à instaurer une nouvelle religion mieux adaptée
à l'évolution de l'humanité : "la religion
du Christ débarrassée de ses croyances et superstitions,
qui ne promette pas la béatitude pour plus tard mais apporte la
félicité sur terre." C'est une véritable
crise religieuse et morale qui transforme sa pensée, sa manière
de vivre et de considérer le monde. Une vraie conversion !
Les années
1879-1886 furent décisives, et cela se voit dans ses uvres
(Confessions, Critique de la théologie dogmatique, Concordance
et traduction des quatre évangiles, En quoi consiste ma foi, et
Que devons-nous faire ?) où il développe progressivement
une pensée condamnant radicalement la violence, notamment celle
de l'État, et il deviendra un dissident dans son propre pays, excommunié
et censuré par l'Église orthodoxe.
«Chaque
être suit la voie qui lui est propre...
il
y a une voix cachée uniquement perceptible de l'intérieur».
Dans «Le
Royaume des cieux est en vous», il expose sa doctrine issue
des évangiles.
Partant de l'idée de la non-résistance au mal par la violence,
il remarque que l'Église ne fait pas cas de ce commandement de
résistance non-violente au mal. Les prêtres bénissent
les canons et l'Église soutient les soldats en dérogeant
au commandement biblique : «Tu ne tueras point». Comme
les Quakers, il pense que le guerre est inconciliable avec les principes
enseignés dans le Sermon sur la montagne. Pour lui, l'État
despotique ou libéral n'est qu'une «organisation de la
violence n'ayant pour principe que l'arbitraire le plus grossier... On
pense généralement que les gouvernements rendent leurs armées
plus fortes afin de protéger leur Etat contre une attaque des autres.
On oublie que les soldats sont tout d'abord nécessaires aux gouvernements
pour se défendre contre leurs sujets qu'ils oppriment et réduisent
à une véritable servitude». Le service militaire n'est
pas compatible avec l'esprit chrétien. Un chrétien ne peut
se préparer à l'assassinat de son prochain ou le commettre
en étant soldat. L'idée même de juger et condamner
à mort est à l'opposé de celle de tolérance
et de pardon du Christ. Tolstoï accuse les maîtres religieux
de donner des instructions contraires à celles du Christ. «Ils
enlèvent à l'enseignement du Christ toute sa signification».
La duplicité est constante dans l'Église depuis qu'elle
est devenue une puissance temporelle, devenant de plus en plus riche,
et cela dure depuis le règne de Constantin.
Tolstoï
préconise le refus de soutenir la violence de l'État en refusant
de payer l'impôt ou d'effectuer le service militaire, mais il ne
se lancera jamais dans des actions non violentes de ce type. Cependant,
il soutient les Doukhobors, groupe religieux pacifiste
dissident de l'Église orthodoxe et aide ses membres à s'exiler
au Canada (note).
« Père de douze enfants, ses relations avec son épouse
deviennent difficiles à mesure qu'il prend ses distances avec
l'Église et qu'il adopte un mode de vie en communion avec ses
idées - il abandonne le tabac, l'alcool, la chasse, la viande, s'habille
en paysan, coupe lui-même le bois et confectionne des chaussures
», raconte son fils.
Tolstoï ouvre
une école pour les enfants pauvres dans sa propriété
de Lassnaïa-Poliana, et il expérimente des méthodes
pédagogiques non contraignantes et non violentes, ce qui est une
vraie nouveauté pour l'époque.
Tolstoï définit
ainsi ce qu'il appelle la «vraie vie» : c'est «celle
qui ajoute au bien accumulé par les générations passées,
qui augmente cet héritage dans le présent et le lègue
aux générations futures».
Tolstoï refusait
aussi la contre-violence révolutionnaire comme celle exercée
lors de la première révolution russe de 1905 : «La violence
engendre la violence, c'est pourquoi la seule méthode pour s'en débarrasser
est de ne pas en commettre». Son uvre littéraire prend
elle aussi une tournure sociale, notamment à travers des essais
et des récits populaires, largement diffusés dans la population
russe, dont certains semblent censurés car peu diffusés.
Comme, par exemple :
« Ivan
le petit sot » est le titre d'un conte philosophique antimilitariste
qui démontre que non seulement il est parfaitement possible de
résister à un agresseur en se passant d'armée, mais
encore que cela est avantageux. Le risque d'attaque est moins grand, car
l'aggresseur n'a aucun prétexte de "défense" pour
attaquer, et l'économie d'une armée permet d'arranger un
compromis ou de tenir le temps qu'il faut pour convaincre l'assaillant
qu'il a tort. Pas de morts inutiles, les hommes restent libres à
leur travail pour résister au lieu d'être embrigadés
pour guerroyer ; sachant le coût exorbitant d'une défense
armée, c'est évidemment la bonne solution pour se prémunir
des dangers d'une guerre ! [Texte intégral
: téléchargez-le gratuitement]
Dans Argent
et travail, Tolstoï développe sa thèse sociale
qui a sa source dans l'injonction biblique : «Tu travailleras à
la sueur de ton front». Le travail manuel est une nécessité
vitale et une valeur traditionnelle, et les bureaucrates, les fonctionnaires
du fisc et surtout les militaires, sont donc considérés
comme des parasites de la société. Ce sont les valets du
pouvoir totalitaire qui s'appuie sur eux pour s'imposer et se maintenir.
À 70 ans
il écrit : «La vie de l'homme s'écoule et il a
en lui toutes les possibilités d'être (bon ou méchant,
bête ou intelligent). C'est pourquoi il ne faut pas le juger : à
peine avez-vous rendu votre sentence qu'il a déjà changé.»
Cette pensée a influencé Nietzsche pour écrire cet
aphorisme : «Il était bête et le voilà intelligent
; il était méchant et le voilà bon, et vice versa...».
Léon Tolstoï
est parmi les principaux penseurs occidentaux qui ont participé
à l'élaboration de la non-violence. Gandhi
dit avoir puisé ses idées essentielles dans Le Royaume
des Cieux est en vous :
«La Russie m'a donné en Tolstoï un maître qui m'a
pourvu d'une base raisonnable pour ma non-violence.»
«Il n'y a qu'une solution, celle de la reconnaissance de la loi d'amour
et du refus de toute violence», écrit Léon Tolstoï
quelques jours avant sa mort (1910).
Nota bene. Il s'agit bien de non-violence dans l'idée de "la
non-résistance au mal par la violence".
Bibliographie
La correspondance de Léon Tolstoï avec Gandhi, les essais
Le Royaume de Dieu est en nous, Le Travail, L'argent
et le travail, et le conte philosophique Ivan
le petit sot sont rassemblés dans Tolstoï
et Gandhi, (chez Denoël, coll. pensée gandhienne,
1958).
Extraits du livre écrit par son fils, le Comte Léon L. Tolstoï
: La Vérité sur mon père
Tolstoï, La quête de la vérité, de A. Refalo, Ed. Desclée de
Brouwer, collection Témoins d'Humanité, 11€.
Note. Maintenant que les enfants du
Doukhobors ont grandi, ils poursuivent en justice le gouvernement canadien
qui les a pris à leurs parents. En 1953, le gouvernement de Colombie
Britannique a commencé une campagne systématique et méthodique pour enlever,
emprisonner et faire un lavage de cerveau à quelques-uns des propres résidants
de la Belle Province. Pendant six ans, les victimes ont été retenues dans
un camp gouvernemental, enfermés derrière des fils barbelés, soumis
à de mauvais traitements physiques et empêchés de tout contact avec leurs
familles pendant des semaines - parfois des mois - à la fois. Tous étaient
des enfants, quelques-uns jeunes de six ans. Ces enfants de Doukhobors,
les descendants des pacifistes sectaires qui se sont installés au Canada
vers la fin de la Russie tsariste étaient contre le nationalisme
et la guerre. Leur seul crime, comme cela est décrit par des autorités
provinciales scolaires, consistait en ce qu'ils apprenaient ces valeurs
dangereuses à leurs enfants. |